Extrait pour ceux qui ...
auront assez de neurones valides pour le comprendre.
Issu de "Avec nos poings d'acier"
La colère, faut jamais la chercher,
La colère, faut pas la réveiller.
Chacun pour soi, il va falloir y penser.
Chacun pour tous, il va falloir décider.
Jean-Pax Méfret, La Colère
Il faut appeler un chat un chat et ce pays une république
bananière où les corrompus des ventes d'armes,
les réseaux pédophiles et les sociétés secrètes tiennent le haut du pavé.
Le Vieux sur la montagne
«
Je hais la culture », ruminait Jérôme Boileau, agrippé à la main
courante du bibliobus,
surnommé le « taudis bus. » Les amortisseurs gémissaient, des
câbles attachaient les livres aux parois et des caisses en carton
s’effondraient au moindre virage. Cependant, le désordre ne
perturbait pas le chauffeur ─ au contraire, il s’en amusait : «
Tu sens cette odeur ? Un rat crevé dans un bac. » La brute
s’appelait Rudy Brulls. La fumée de son cigare assassinait l’oxygène
et les coutures de son coutil craquaient sous cent vingt kilos de
méchanceté et de diabète en gestation ─ depuis le début, Jérôme
sentait que son équipier ne l’aimait pas. Brulls lui évoquait une
créature échappée d’un laboratoire de savant fou : des employés
communaux l’avaient vu immobiliser deux ouvriers contre ses
pectoraux, puis fracasser leurs caboches l’une contre l’autre,
comme des œufs à la coque, juste pour rigoler.
Brulls mâchonna
son tison : « C’est ici. »
Des tours en ruine grandissaient
entre les déjections qui crottaient le pare-brise. Des ombres
menaçaient les halls privés d’électricité, comme si une
épidémie avait décimé les habitants. Toutefois, en regardant
bien, l’œil distinguait des feux dans certaines grottes de béton.
Jérôme soupira : pourquoi les expédiait-on dans ce bled ? Un arrêt
le projeta à genoux et lorsque son nez s’écrasa contre la
rambarde de sécurité, du cartilage céda avec un bruit atroce.
Malgré la douleur, il capta les ricanements du pilote : « Oh ! T’as
fait bobo ? » Avant qu’il ait eu le temps de gargouiller, deux
semelles l’enjambèrent et un grumeau de terre tomba dans ses
cheveux : « Bon, je me trisse. Je reviens tout à l’heure.
Amuse-toi bien. » Les portes chuintèrent. Quand Jérôme reprit une
contenance, la carcasse de Brulls se pliait dans une Volkswagen,
pilotée par sa dernière conquête, une institutrice nommée Monique
Fléron.
Jérôme renifla, plein d’amertume. Pourquoi ce
gras-double plaisait-il tant aux femmes ? Son reflet dans le
rétroviseur du bus lui répondit : à l’inverse de Brulls, il
n’avait rien d’attirant. Ses traits en mie de pain lui valaient
les railleries des collègues : « Tu as l’air d’un garçonnet de
trente ans. Un jour, tu finiras comme ces gitons qui tapinent dans
les pissotières. » La virilité, voilà ce qui lui manquait…
Lorsque la flaccidité de son ventre lui inspirait trop de honte,
Jérôme effectuait des abdos jusqu’à ce que ses muscles le
tiraillent, mais son apathie reprenait le dessus et il se retrouvait
seul, en sueur dans son galetas qui sentait les fins de mois
difficiles.
Le bibliothécaire fourra un kleenex dans ses
narines, puis gagna la banquette arrière où l’attendaient
l’échéancier et un dateur. Malgré la condensation qui opacifiait
les vitres, il devinait un terrain vague, flanqué de deux paniers de
basket qui tremblaient comme des potences. Hum ! Il ne restait plus
qu’à patienter… D’habitude, les lecteurs n’étaient pas
hostiles, mais plutôt endormis, avec des traits chiffonnés comme
s’ils émergeaient d’une narcose. D’ailleurs, que
retenaient-ils des polars qu’ils empruntaient par dizaines ? Rien
d’après leurs trognes. Jadis, Jérôme avait cru à l’humanisme,
aux vertus de l’éducation permanente. Désormais, il n’y voyait
plus qu’une panoplie d’anesthésiques employés à des fins
électoralistes. La Culture (ah, cette majuscule !) n’améliorait
rien ni personne, à commencer par les grands écrivains, ce ramassis
de pervers et de bons à rien. Quant aux livres, ils n’étaient que
d’obscènes objets ajoutés au réel.